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Pêcheur ou braco ?

Cette truite est mon oeuvre, j'en interdis toute diffusion ou publication !

 

 

Je ne sais ce qui t'a poussé, Alain, à venir à la pêche, toi qui, même pendant tes congés, achetais des revues financières et téléphonais tous les jours à tes collègues. Peut-être le besoin de te mesurer à la nature, de t'intégrer, de communier avec ce milieu parfaitement stable mais si fragile, où chaque chose a sa place... ou n'est pas, impitoyable école où il ne reste que les premiers, les autres étant condamnés à la mort.
Je me rappelle qu'à l'époque de tes débuts, mon activité halieutique se limitait presque exclusivement à la traque des perches à l'alevin. C'était sur le Viaur, une rivière régulée par des barrages, au lit encombré par d'énormes cailloux, à la profondeur pratiquement constante, entre 80 et 120 centimètres, serpentant au fond d'une vallée assez encaissée, aux versants recouverts de bois de chênes et de châtaigniers, avec, de-ci de-là, au hasard des méandres de la rivière, quelques prés aux rives ombragées par des aulnes, des frênes, des noisetiers, des saules...
La pêche n'y était pas miraculeuse, mais suffisamment régulière pour nous inciter à y revenir le lendemain. Je ne me souviens pas y avoir vu grand monde y pêcher comme nous, tout au plus 2 ou 3 personnes. Heureusement, car c'était une vraie hérésie, cette rivière étant un des plus beaux cours d'eau à truite du département, et dire que je ne m'en suis aperçu que bien plus tard. Lorsqu'elle ne musarde pas entre les rochers au milieu des bancs de sable, elle dévale majestueusement de larges courants sur fond de galets puis elle s'endort, calme et apaisée, dans de grands plats ; de temps en temps, un arbre abattu par les fureurs climatologiques obstrue une partie de son cours.

Quant à la technique de pêche, elle était des plus simples. On attrapait un petit poisson en pêchant au ras de la berge, des vairons le plus souvent, on l'accrochait à l'hameçon par les lèvres et on lançait le tout vers les blocs de pierre ou devant les amas de branches. Au tout début, la touche était immédiate, le flotteur disparaissant sous l'eau sans même avoir eu le temps de se positionner en surface. Ferrage appuyé et sorti musclée de la belle zébrée, généralement entre 150 et 300 grammes.
Il parait qu'un jour, tu en aurais tenu une d'énorme au bout de ta ligne. D'après tes dires, elle devait bien avoisiner le kilo. Tu t'étais installé sur une grosse branche qui surplombait la rivière afin d'approcher d'une manière idéale un des coins les plus fameux : devant deux rochers formant goulot d'étranglement, il y avait un saule au trois quarts immergé, la profondeur d'eau avoisinant les deux mètres. Impossible à pêcher du bord à cause des branches, tu avais trouvé cette astuce périlleuse mais redoutablement efficace, vu le contenu de ton panier... et le nombre de fois où tu nous as raconté ton impuissance lorsqu'il t'a fallu sortir de l'eau le monstre que tu venais de ferrer. Tu as essayé de le monter jusqu'à ta branche, mais le fil n'a pas supporté la charge et ce fut la casse irrémédiable.
On pouvait attraper une dizaine de poissons dans certains coins mais souvent il fallait se contenter de deux ou trois et aller prospecter plus loin. J'aime bien cette pêche à rôder où le résultat dépend de la qualité de l'approche : ne pas faire de bruit, ne pas se faire voir, et lancer le plus près possible du coin supposé favorable. Un jour, c'est devant les rochers, le lendemain, c'est derrière ; il ne faut pas s'entêter, ne pas perdre son temps à pêcher un désert sous prétexte que l'on y a réussi un joli panier.
La population de zébrées locale n'était pas suffisante pour supporter notre pression de pêche et le coin s'est épuisé en 3 ou 4 ans. J'y ai quand même pris les deux premiers brochets de ma vie... et les orages les plus violents et les plus soudains. On entendait la pluie qui arrivait du fond de la vallée, dans un crépitement assourdissant, précédée de rafales de vent à décorner les taureaux, et malgré le sauve-qui-peut général, on était trempé en moins de 30 secondes.

C'est à cette époque que j'ai connu un autre pêcheur, Pierrot, de deux ans mon cadet, mais qui en compétence et en technique, m'était mille fois supérieur. Il devint mon ami et mon professeur. Je lui dois beaucoup. C'est peut-être grâce à lui que je me suis aperçu que le bonheur, c'est toutes ces mille petites choses insignifiantes que la vie vous réserve après vous avoir fait souffrir.
Ses captures étaient toujours plus grosses et plus nombreuses que les miennes. Son champ de bataille à lui, c'était le lac de Pareloup. Je l'avais bien pêché une ou deux fois avant de le connaître, mais cette immense étendue d'eau plate ne m'inspirait pas. Par contre, le lieu est superbe, une des richesses de l'Aveyron. C'est un lac de barrage appartenant à EDF, situé sur le plateau du Lévézou, à 800 mètres d'altitude. Il est entouré par les collines, alternant sur ses berges les prés, les bois et les devèzes. Mais sa beauté, c'est surtout ses innombrables rades et baies, lui offrant 120 kilomètres de rives, sans la moindre agglomération pour le souiller, juste quelques petits hameaux avec leurs fermes et très peu de résidences secondaires. Paysage magnifique, fait d'immensité et de sublime.

Ah ! Quels souvenirs que ces parties de pêche, quand le petit vent dissipait la brume matinale et que nos doigts engourdis guettaient le timide soleil.
Il y a tout au fond d'une rade assez encaissée deux fermes et un vieux moulin. Comme toujours, ce petit hameau a donné son nom, Trébon, à cette partie du lac. Le coin de pêche est un peu avant, sur la lisière d'un de ces bois typiques de la région (chêne, châtaignier, hêtre...), juste à côté d'une conduite d'eau qui traverse le bras, pas bien large il est vrai, 4 à 5 mètres tout au plus. En face de nous, la colline ressemble vaguement à un pré, avec une chênaie très aérée et beaucoup de fougères. Les deux rives vont vers le large en s'écartant légèrement, puis la nôtre fait une magnifique anse au milieu d'une prairie couronnée d'un bois de hêtres centenaires ; ensuite, elles se rapprochent jusqu'à 50 mètres l'une de l'autre, redeviennent parallèles et serpentent pendant 2 kilomètres jusqu'à la partie principale du barrage.
Pour en revenir à ces premières parties de pêche, nous opérions devant un arbre abattu et presque totalement immergé, seules ses racines restant hors de l'eau. La technique de pêche était pratiquement la même que pour les perches, mais le fil était plus gros car nos victimes étaient les brochets. On lançait vers le large, au ras des branches, et plus c'était près de celles-ci, plus on avait de chance d'avoir une touche. Comme nos lignes n'avaient pas de crinelles d'acier, nous nous faisions casser une fois sur deux au ferrage... lorsque ce n'était pas à chaque fois ! On s'était aperçu que lorsque celui-ci était ample et tout en finesse, le nombre de casses diminuaient car souvent le fil passait derrière un des mandibules de la gueule de messire Exos, loin des dents tranchantes. A chaque sortie, c'était 2 ou 3 poissons qui étaient pris, de 1 à 3,5 kilos. Mais en moins de 6 mois, les bredouilles ont succédé aux bredouilles, la pression de pêche avait été, ici aussi, trop forte.

Alors, nous nous sommes mis à prospecter de nouveaux coins, en suivant la rive, pêchant avec minutie le moindre amas de branche, mais notre manque d'expérience nous faisait ignorer les anses, les brusques déclivités, les clairières au milieu des prairies immergées, et autres très bons postes à brochets. Malgré ce, nos prises étaient régulières, peut-être parce que nous mettions maintenant une crinelle d'acier au bout de nos lignes.
Cette rade de Trébon est pour moi pleine d'anecdotes. C'est le seul bras du barrage qui reçoive un cours d'eau d'importance, ce qui explique sa richesse en poissons fourrages : gardons, ablettes et même goujons... et prédateurs. Comme le cadre y est très joli et très calme (l'accès peu facile en rebutait plus d'un), nous y venions assez souvent.
Un jour où le barrage était plein à lécher les pieds du vieux moulin, tu t'installas, Alain, sur le haut du petit pont qui enjambe le fond de la rade, pour pêcher un banc de grosses ablettes que la montée des eaux avait attirées là. Je te laissais avec ces beaux poissons à la robe irisée pour entreprendre une partie de pêche à rôder de chaque côté de la rade, n'ayant jamais été grand amateur de pêche immobile.
Je n'ai pas eu la moindre touche, et c'est sans regret que je rejoignais le petit pont, sûr de t'y trouver triomphant avec ta bourriche pleine. Pleine, c'est vrai, elle l'était ! Mais elle était aussi par 3 mètres d'eau, le nœud qui la retenait à la balustrade s'étant défait à ton insu, et elle gisait maintenant sur le fond, impossible à localiser, la couleur de l'eau rappelant davantage celle du chocolat que celle, cristalline, d'un torrent de montagne.
Un petit pressentiment me laissait supposer qu'elle n'était pas perdue. J'installais sur ma ligne deux hameçons triples espacés de 5 centimètres, quelques plombs groupés immédiatement après, offrant le poids nécessaire à un lancer de précision. Je commençais à promener le tout sur le lieu présumé du naufrage et la chance aidant, j'arrivais à crocheter une des anses de la bourriche. Tous ses pensionnaires furent libérés immédiatement suivant une saine habitude qui veut que nous ne gardions que le poisson que nous consommons.

Ce montage de braconnier m'a été appris par Pierrot. L'utilisation que nous en avons toujours faite, bien que très répréhensible, n'avait rien de comparable à celle de certains "professionnels du grappin", nos triples n'ayant jamais dépassé le n° 8, ce qui n'est vraiment pas gros par rapport aux engins de mort maniés par les messieurs évoqués plus haut. Pierrot était un vrai spécialiste de cette sorte de pêche. Je me demande si le mot chasse ne serait pas plus approprié ? Il faut avoir une excellente vue pour localiser le poisson avant qu'il ne vous voit, ne pas être "manchot" pour lui lancer cette monture pas trop près pour ne pas l'effrayer, mais suffisamment tout de même pour qu'elle reste opérationnelle, puis, en alternant travail de la canne et récupération du fil, la positionner le plus près possible de la tête pour avoir un accrochage solide. Après, il suffit de ferrer et de se bagarrer avec un poisson rarement pris à l'endroit espéré.
Sortir, comme il lui est arrivé de le faire dans cette rade de Trébon, un brochet de 3 kilos pris par une nageoire pelvienne, relève de l'exploit (fil de 22 centièmes et fond de prairie immergée), le poisson fait vraiment ce qu'il veut, on n'a aucun moyen de contrôle sur sa nage et si on veut le fatiguer en tirant sur la ligne, il suffit qu'il se mette en travers pour offrir une résistance suffisante et amener le fil à la rupture.

C'est dommage qu'Alain et Pierrot n'aient pas pêché plus souvent ensemble. Toi, Alain, tu venais passer 15 jours dans l'Aveyron à la fin de l'été, alors que Pierrot pêchait avec moi toute l'année, puis partait vivre son été au soleil des Corbières ou sur le plateau de la Margeride. Pierrot n'était pas un de ces viandards prêts à tout pour remplir leur congélateur, mais lorsqu'il voyait une jolie pièce, il ne pouvait s'empêcher de la braconner si elle refusait ce qu'il lui présentait. Parmi les mémorables parties de pêche que l'on a faites ensemble, je me rappelle celles des tanches sur l'Aveyron les jours de crue.
C'était derrière la chaussée d'un moulin, au milieu d'un énorme remous, le courant violent rendant tout autre lieu impêchable d'ailleurs. Sa technique était superbe et tellement efficace que je l'emploie encore aujourd'hui. Alors que tous les autres pêcheurs attendent que le poisson vienne à l'appât, lui, il le lui apportait. Il utilisait un flotteur pas bien gros, qui n'avait pour seule utilité que de résister à la pression du courrant et de visualiser les touches. Il équipait la ligne d'une plombée très groupée et d'un bas de ligne non plombé de 50 centimètres au moins, terminé par un hameçon de petite taille sur lequel était piqué un ver par la tête, ce qui lui laissait toute sa mobilité.
Il réglait le flotteur de manière que la plombée touche généreusement le fond, il lançait délicatement le tout au milieu du remous, puis il alternait doucement tirées et relâchés. La touche était souvent spectaculaire. Au lieu du chipotage habituel propre à la tanche, se traduisant par une interminable hésitation du flotteur, il y avait une plongée brusque et violente. Je pense que, lorsque la tanche voyait son ver lui échapper suite aux manœuvres décrites plus haut, elle l'avalait goulûment. Quelque fois aussi, la touche étant imperceptible, il me prenait à témoin pour avoir mon avis avant de ferrer... mais je ne voyais absolument rien, alors que presque toujours, le poisson était au bout.
La première fois qu'il m'a amené là, j'ai passé mon temps à remonter ma ligne après les nombreuses casses dues à mes accrochages répétés sur le fond et à couvrir d'un regard lourd de jalousie le contenu de sa bourriche. Lorsque la rivière n'était pas en crue, il avait un autre poste à tanche un peu plus bas, en bordure d'un profond (un pool pour les anglicistes), juste sous un arbrisseau en instance de s'écrouler dans la rivière. Le coin était très riche en poissons de toutes sortes : truites, barbeaux, chevesnes, vandoises, tanches, gardons et même il y prit un joli brochet. Il utilisait la même technique et c'est là où l'on voyait toute son efficacité. Seul le ver allait se promener sous les branches, et son animation faisait un malheur.

C'est toujours dans ce secteur de l'Aveyron que je l'ai vu sortir ses premiers barbeaux, enfin, les premiers barbeaux que moi, je voyais. Je ne comprenais pas la fascination qu'exerçait ce poisson sur lui. Dès que les eaux devenaient un peu basses, il arpentait les rives à la recherche du fuseau d'argent (le barbeau aime se retourner contre les rochers du fond de la rivière et la réverbération du soleil sur les écailles de son ventre provoque un éclair blanc-argent). C'est un super bagarreur. Une fois ferré, il utilise toute sa puissance, combinée à celle du courrant, pour retrouver sa liberté. En plus, c'est un malin capable de se coincer derrière le plus petit rocher. Mais c'est la vitesse à laquelle il vous balade qui est le plus impressionnant. On a vraiment la sensation que le combat n'aura jamais de fin tant le barbeau lutte avec constance, puis tout d'un coup, il faiblit, fait un ou deux timides départs, et se rend complètement épuisé.
Un jour de canicule où nous avions décidé de les traquer (je dis "nous", en fait il était souvent le seul à pêcher), cela faisait bien 2 à 3 heures que nous remontions la rivière sans la moindre prise. De temps en temps, il y avait bien un éclair furtif, mais le poisson était impossible à localiser ou alors trop petit. Si ! A un moment, on en a vu un gros qui sommeillait sur une des branches d'un grand arbre totalement immergé, mais le coup n'était même pas envisageable tant les branches étaient nombreuses. Nous arrivons enfin à une digue protégeant la sortie d'un égout pour en voir un de superbe, le monstre local, nous saluer d'un joli revers de sa caudale. Mais le lascar de Pierrot n'a jamais été du parti des perdants. Il lance sa monture trois mètres après la dernière position vue du bestiau, laisse descendre suffisamment, et ferre amplement. C'était la première fois qu'il remontait si haut la rivière, donc, il ne connaissait absolument pas le coin, il ne savait pas si sa monture était tombée dans un arbre immergé, si le fond était de 1 mètre ou de 5, si le barbeau avait continué tout droit, si, si, et si...
Lui, il ne s'était pas posé de question : lancer, attendre, ferrer... et il était au bout. Par son imposante nageoire caudale, mais il était au bout. Et le combat dura, dura. Ca fait partie des moments exaltants de la vie. C'est un rien, un suspense idiot, savoir si le poisson arrivera à se décrocher ou pas, mais c'est tellement vrai, tellement prenant : d'un côté un animal blessé qui lutte pour sa vie, de l'autre, un pêcheur bestial qui ne pense qu'à jouir.
Et malheureusement, c'est encore le pêcheur qui gagna. Nous repartîmes avec notre barbeau à travers les prés jusqu'au moulin, Pierrot l'attacha avec une ficelle au guidon de son solex, à la sonnette exactement, mais vu la longueur du poisson, même en réduisant au minimum la ficelle, la queue continuait de toucher terre. Nous fîmes une arrivée très remarquée à un feu rouge, un peu trop remarquée par un gars dans sa 2 ch : il s'encastra littéralement dans la voiture qui le précédait. Le poisson faisait tout de même 3,4 kilos, ce qui doit être le plus gros barbeau jamais pêché dans l'Aveyron.
Au fait, si vous voulez vous régaler, goûtez un peu ça : un barbeau de 2,5 à 3 kilos (c'est comme le brochet, c'est plein d'arêtes, alors vaut mieux qu'elles soient grosses), légèrement cuit au court-bouillon, mis dans un plat allant au four, recouvert largement de béchamel et de câpres, laissez gratiner... je ne vous dis que ça. Le vin blanc est de rigueur.

Et ce jour où nous avions décidé de pêcher légalement les 2 ou 3 carpes qui nous narguaient lorsque, du haut du pont qui enjambe l'Aveyron au Monastère, nous pêchions de la friture pour pouvoir aller taquiner le brochet. Donc, un jour d'été, nous appâtâmes soigneusement le coin avec des fèves ayant macéré pendant 24 heures dans l'eau avant d'être cuites pendant au moins une demi-heure, et nous installâmes nos cannes sur le pont très étroit, emprunté régulièrement par les voitures (lorsque l'une arrive, il faut se ranger dans le décrochement central, au pied d'une croix), donc impossible de caler les cannes au sol, la seule solution était de les poser sur le parapet de pierre et de rester à côté pour intervenir immédiatement à la moindre alerte.
Oui mais il faisait très chaud. Et nos carpes ne se décidaient toujours pas.
- "Le bistrot est à 10 mètres ! Je vais boire une limonade..."
- "Après, ce sera ton tour..."
- "Ce serait plus sympa si on y allait ensemble, non ?"

Et nous voilà à siroter nos diabolos menthes ou nos esquimaux géants, je ne sais plus. Ce que je sais, c'est qu'au bout de 20 minutes, l'un de nous deux persuada l'autre qu'il valait mieux aller jeter un coup d'œil, des fois que... Je suis sorti le premier, regard désabusé vers les cannes... et hurlement. Il y en avait une en train de basculer dans le vide. Je la récupérais je ne sais comment, tirais en force pour essayer de gagner le mètre nécessaire à une position moins précaire, mais de l'autre côté, c'était 8 ou 10 kilos qui cherchaient à s'enfuir. Le bas de ligne cassa. Bilan : notre journée d'attente était complètement gâchée par une envie de limonade.

La plupart des carpes que Pierrot a pêchées ont été "braconnées". Que ce soit pour le brochet, le barbeau ou la carpe, il utilisait le même matériel et la même technique. Je commençais à m'y essayer et c'est l'une d'elles qui fut ma première victime.
C'était encore dans la rade de Trébons. On avait découvert, en partant vers l'aval, à 1 km à peu près de la conduite d'eau, un gros arbre complètement couché dans l'eau. La densité de brochets y était phénoménale, mais comme toujours, de courte durée.
Un jour où la bredouille paraissait inéluctable, je pris ma musette et le seau à vif pour prospecter la rive à la recherche de quelques émotions. J'arrivais ainsi, sans avoir eu la moindre touche, à l'anse de la prairie couronnée du bois de hêtres centenaires. Et là, mon cœur cessa de battre. A fleur de l'eau, immenses tâches bleues dans le miroir liquide, trois superbes carpes longeaient le bord à la recherche de quelques "amuse-gueule". J'installais rapidement les deux hameçons triples et les quelques plombs à la place de la ligne à brochet et je tentais ce qui pour moi n'était qu'un rêve fou : tenir un énorme poisson, peu importe par où, mais le sentir se battre.
J'avais bien déjà eu une petite expérience sur un joli barbeau, mais il s'en était tiré rapidement sans trop de problème... Ayant refusé de lui laisser prendre le moindre centimètre de fil, ce fut aussitôt la casse. On le repéra facilement par le truc innommable que j'avais installé, en guise de plomb, sur la ligne, et qui ressemblait plus à un chausse-pied qu'à un engin halieutique. Le barbeau se baladait maintenant avec cette très voyante "boucle d'oreille". Pierrot réussit à le reprendre, en plus par ma monture, mais le poisson se décrocha en nous laissant son encombrant pendentif.
Pour en revenir aux carpes, je lançais donc ma monture vers l'objet de mes désirs, c'est à dire la plus grosse. Je ne sais pas si le lancer était parfait ou si les carpes ce jour-là étaient apathiques, mais à ma grande surprise, elles ne manifestèrent aucun signe d'inquiétude. La monture étant idéalement placée, je les laissais s'avancer tout en récupérant l'excédant de fil et je ferrais amplement.
Rien ne bougea. Un des triples devait être accroché au fond. Je commençais à râler contre moi pour cette pitoyable maladresse. Et c'est à ce moment-là que je vis mon fil qui s'en allait à la suite de la carpe. Je la tenais !!! Malgré la piqûre d'un, voire des deux hameçons, elle n'avait pas l'air tellement "touchée". Ce n'est que petit à petit, lorsque mes tractions sur la ligne commencèrent à la déstabiliser, qu'elle me montra toute sa formidable puissance. Le coin était sûr, pas un arbre sur plus de 200 mètres, j'étais tranquille et je pouvais enfin savourer l'intense émotion, mais aussi la fébrilité, qui nous poussent à rechercher la lutte avec les gros poissons.
Le combat fut rude, mais j'en sortis vainqueur. J'emmenais ma captive dans l'herbe de la prairie, et je courus chercher Pierrot. Après une estimation très approximative et sûrement très surévaluée, elle fut rendue à son élément, et sans plus tarder, elle partit narrer sa mésaventure à toute la gent aquatique de la contrée.

J'ai une autre anecdote sur les carpes et sur Trébon. C'était entre l'anse et la conduite, un jour où l'envie de me battre avec elles avait été si forte que je venais d'acquérir, malgré mon maigre budget, une canne capable d'en faire trembler plus d'une. Jusqu'à présent, je ne vous ai parlé que d'un arbre immergé juste après la conduite, où avec Pierrot nous traquions les brochets. En fait, de la conduite jusqu'à l'anse, c'est une succession d'arbres noyés, certains étant encore verticaux, rendant le coin pratiquement impêchable. Les carpes y étaient toujours présentes et souvent très près du bord. J'arrivais, après avoir fait le tour de l'anse (on revient toujours sur les lieux où l'on a eu un certain succès... des fois que), aux premiers arbres noyés. Elles étaient là, en surface et en grand nombre, que des poissons de taille respectable. Je jetais mon dévolu sur la plus grosse (mentalité issue de ma cohabitation avec Pierrot, seuls les plus gros poissons avaient de l'intérêt pour lui), et après deux ou trois lancers très discrets mais manqués, je réussis à la harponner.
Elle me prit, en quelques secondes, au moins 40 mètres de fil. C'est à ce moment-là que me vint l'envie de tester les capacités réelles de ma nouvelle canne. Je bloquais le fil et j'essayais, tout en puissance, de manœuvrer le poisson. Un craquement sec déchira le silence, une vraie détonation. Ma belle canne toute neuve venait de se rompre juste au-dessus du premier anneau, et tout le reste, telle une flèche lancée par un arc, fendit l'air à une vitesse inouïe, le fil tendu à l'extrême lui servant de guide pour lui donner une trajectoire rectiligne parfaite. Il ne pénétra que de moitié dans l'eau, y subissant une décélération aussi brutale que violente. La carpe, quant à elle, réussit à se décrocher, et je récupérai rapidement ce qui me restait de matériel pour constater l'étendue des dégâts. La canne était fichue. Dorénavant, je savais que vouloir résister au départ d'un gros poisson par la force, même si on se croit armé pour, est une entreprise forcément vouée à l'échec.

Et le soir où, du haut de la conduite, Pierrot et moi en avons vu un énorme troupeau. Combien étaient-elles ? Cinq cent, mille ? Je n'en ai aucune idée, mais certaines dépassaient 1,20 mètres de long, ce qui correspond à 25 ou 30 kilos. Depuis, j'ai appris qu'à la fin de l'été, elles se regroupent ainsi en surface et entreprennent de grandes migrations.
Ce spectacle, avec le soleil rougeoyant à l'horizon, était trop beau pour être perturbé par notre immixtion (ça, c'est la version du rêveur. En fait, je ne me rappelle plus si on a essayé de les pêcher. En revanche, je suis sûr que l'on n'en a pas pris une).

C'est toujours en ce lieu que Pierrot, un jour, essaya de sortir en force un brochet, pas bien gros il est vrai. C'était au beau milieu des arbres noyés, le poisson semblant somnoler tapi entre deux grosses branches. Le passage était si étroit que Pierrot dut s'y reprendre à plusieurs fois avant d'arriver à présenter au brochet le petit vif. Le prédateur s'avança lentement jusqu'au fragile poissonnet et dans un éclair, le saisit et partit immédiatement dans les branches. Le scion de la canne était agité de furieux soubresauts, puis il s'immobilisa, toujours courbé en arc de cercle. Le brochet venait de se décrocher et la ligne, beaucoup trop emmêlée dans les branches, ne pouvait être récupérée.

Un autre jour, alors que je pêchais seul, mon regard fut arrêté par un énorme sillage qui parcourait la rade dans tous les sens et à toute allure. Il avait bien 30 mètres de long et 3 ou 4 de large. C'était presque un bouillonnement tellement il y avait de poissons là-dessous, certains paraissant très gros.
Je ne savais absolument pas quoi faire. Si c'était des perches, j'avais toutes les chances de faire un massacre avec n'importe quel leurre, mais si c'était des "blancs" en train de frayer, je risquais de provoquer leurs fuites irrémédiables. Je n'eus pas à attendre longtemps. Rapidement le banc vint vers moi, et si je ne pus identifier avec exactitude les poissons, j'eus le temps d'observer qu'ils ne chassaient pas, donc ce n'était pas des perches.
J'installais la monture à braco et quelques instants plus tard, je tenais au bout de ma canne un superbe poisson. Mais ma soif de combat fut très insatisfaite. Le poisson, bien que d'une masse imposante, n'opposa aucune résistance si ce n'est celle de son poids et je le ramenais rapidement vers le bord.
C'était une brème, aussi grosse qu'un couvercle de lessiveuse, qui devait bien faire plus de 3 kilos. Je la remis à l'eau ainsi que deux plus petites, prises juste après, et je repartis à la recherche de poissons plus "intéressants".

Mais si ce coin de pêche a une très grosse valeur sentimentale pour moi, c'est que c'est là que j'y ai pris mon plus beau poisson. Ce jour là, on était trois : mon frère Alain, un copain de mon frère Jean-Luc et moi. Comme toujours, on recherchait les brochets au milieu des arbres couchés dans l'eau. Pour que la technique soit plus productive, on a tendance à lancer le vif le plus près possible des branches, au risque de l'accrochage et de la casse. Je venais donc de casser dans un arbre, et la pêche était si mauvaise ce jour là, que pris de lassitude, je ne pus m'empêcher d'emprunter la canne de mon frère, pêcheur très occasionnel il est vrai (il nous avait surtout véhiculés jusque là), plutôt que de remonter la mienne, afin de continuer la prospection de la rive avant qu'elle ne soit perturbée par mes compagnons.
Je lançais le petit poisson, suspendu à sa crinelle d'acier, au ras des branches, pas tellement loin du bord, 2 mètres au maximum. La touche fut immédiate. Par chance, le prédateur partit vers le large. Je me gardais bien de le ferrer, évitant ainsi qu'il ne s'en retourne de suite dans l'arbre, et je profitais de ces quelques secondes de répit pour atteindre une position plus favorable.
En effet, j'ai pour habitude, lorsque je pêche à rôder, de me tenir très loin de la berge, parfois 10 bons mètres, car les poissons, même les plus gros, viennent souvent très près du bord... et le moindre indice les met en fuite. C'est donc en courant que je m'éloignais de l'arbre et que je dévalais le talus pierreux, tout en prenant contact avec le carnassier par de rapides tours de manivelle pour pouvoir le ferrer.
Le choc lourd qui secoua la canne en retour me fit comprendre que j'avais à faire à un gros, peut-être même à un très gros, mais sa défense n'avait rien de celle d'un brochet. Au lieu du combattant ultra nerveux attendu, j'avais au bout de ma canne un poisson qui tirait tout en puissance, sans aucun à-coup. Je l'identifiais un peu vite comme étant une carpe, sans doute influencé par la lecture récente du récit de la capture de l'une d'elle sur une ligne qui ne lui était pas destinée. C'est un poisson que je remets toujours à l'eau ; aussi, je n'hésitais pas à tirer sur le fil (de 3,2 kilos de résistance seulement) pour en venir rapidement à bout.
La bête, dans un gigantesque remous, vint crever la surface, ce qui me permit d'admirer son long corps argenté. C'était une énorme truite. J'appelais immédiatement mes 2 compagnons à l'aide, car de l'aide, j'en voulais. Si une casse sur une carpe ne m'aurait pas trop affligé, par contre, sur cette truite énorme, c'eût été le chaos de Pearl Harbour après le passage des bombardiers japonais auquel se serait ajouté l'anéantissement de Dresde après celui des américains.
En plus, passé l'instant de surprise, mon poisson n'avait plus du tout l'intention de se laisser faire et il semblait décider à mettre une fin rapide à l'échauffourée. Après quelques rushs puissants mais brefs car le bras ne dépasse pas 20 mètres de large à cet endroit, il chercha à rejoindre, très déterminé, l'arbre où je l'avais rencontré. Je couchais la canne au ras de l'eau pour l'obliger à décrire une large courbe, le bridant un peu comme un cheval, l'hameçon faisant office de mors. La bête passa à toute allure devant les dernières branches. J'étais sauvé pour cette fois, mais c'était loin d'être fini.
Ayant exploré toute la rive d'en face sans trouver ni salut ni refuge, elle revint au milieu du bras puis partit vers la conduite d'eau et ses arbres, distante d'au moins 50 mètres. J'avais de quoi voir venir et je ne m'en privais pas. Cela ne dura pas, brusquement, je ne sentis plus rien.
Je récupérais à toute vitesse le fil devenu tout mou... pour constater avec stupeur qu'elle avait fait demi-tour : elle me fonçait dessus ! Elle passa à 2 ou 3 mètres devant moi et fila, toujours aussi déterminée, vers le fameux arbre. Me doutant que l'astuce de tout à l'heure ne suffirait pas (il y avait TOUT l'arbre à éviter, et non plus seulement le bout de ses branches), je hurlais à mes compagnons d'y jeter des cailloux, les plus gros seraient le mieux... et ça a marché. La truite fit de nouveau demi-tour et je pus la fatiguer pendant quelques secondes loin de tout obstacle dangereux. Mais elle était têtue et ne tarda pas à amorcer une nouvelle percée vers son arbre. Malgré la pluie de cailloux, devenant de plus en plus petits il est vrai, elle continuait d'avancer, sentant peut-être sa libération proche. Mon frère n'hésita pas ; il se lança dans l'eau, et dans un plouf retentissant, il réussit à la faire fuir à nouveau.
Elle visita un peu l'autre rive, puis obliqua pour rejoindre la nôtre, à 15 mètres de nous, mais à l'opposé de l'arbre. Au fur et à mesure de son approche, sans doute un peu affaiblie, elle remonta des couches d'eau profonde pour être totalement en surface une fois arrivée au ras du bord. Puis, tout en suivant méticuleusement les irrégularités de la rive, elle s'avança vers nous. Son large dos, en effleurant à peine la surface, laissait derrière elle un sillage totalement irréel, un peu comme si un petit sous-marin s'apprêtait à revenir en surface. C'était extraordinaire !
Je ne sais pas qui eut l'idée de mettre l'épuisette grande ouverte dans l'eau pour lui faire barrage, mais ce dont je me rappelle, c'est qu'elle y est entrée tête première, qu'il n'y avait place d'ailleurs que pour sa tête, que l'on s'est précipité tous les trois dessus pour l'enlever avec autorité, et l'amener loin, très loin, de son élément.
On était trempé ; au mois de mai, la température de l'eau du lac est inférieure à 10°C et ce n'est pas le maigre soleil qui brillait ce jour là qui allait nous réchauffer, mais on était terriblement heureux. Je ne me sentis pas le courage de continuer cette partie de pêche tellement j'étais épuisé, vidé, nerveusement à plat. On rentra donc sur Rodez et grâce au talent d'un photographe professionnel, le monstre (sur la balance, elle accusa le poids de 8,7 kilos) fit la une de pas mal de journaux. La fin de la bête ? Je mis sa tête dans le formol et sa chair orange vif fut servie aux fiançailles de ma sœur Brigitte : un vrai délice !!!

600 dents et quelques autres !

Petit à petit, notre recherche de nouveaux postes nous a conduits, Pierrot et moi, vers d'autres rades ; et, comme c'est souvent le cas, nos pas furent guidés par les confidences de quelques autres pêcheurs. Nous avions notamment parmi nos amis le fils et la fille d'un propriétaire de terrain de camping situé en bordure du lac, qui arrondissait ses revenus en pêchant au filet : c'était le seul professionnel "officiel" du département.

C'est donc sur ses conseils que nous partîmes explorer la presqu'île du Mas Atché. Je me rappelle ce premier matin, où dans l'obscurité presque totale, nous nous installâmes en bordure de la première rade qu'il nous avait indiquée. Le coin paraissait très calme, seulement troublé par quelques corbeaux bruyants nichant dans le bois de grands arbres qui s'étendait sur notre gauche.
Quant aux poissons, c'était plutôt misère. A peine arrivés, Pierrot avait bien attrapé un brocheton, immédiatement remis à l'eau, et moi, un énorme chevesne, mais aucun poisson répondant aux espérances soulevées par les dires du pêcheur au filet. Et surtout, au fur et à mesure que midi approchait, un, puis deux, puis trois pêcheurs vinrent nous rejoindre, et pour finir de nous convaincre que ce n'était vraiment pas un coin pour nous (amateurs de calme et de nature), c'est toute une famille qui vint troubler la sérénité de l'endroit (ils étaient bien une quinzaine). On plia tout et on rentra à Rodez, un match de foot étant au programme de l'après-midi.

Notre second rendez-vous avec cette presqu'île eut lieu le dimanche suivant. Avant d'arriver au lieu décrit plus haut, il y avait sur la gauche un mauvais chemin de terre qui quittait la toute petite route. Il menait à une magnifique petite rade, peu profonde il est vrai, ce qui nous conduisit à rechercher vers le large un lieu plus propice.
Après 200 m de marche, nous aperçûmes un superbe amas de branches au milieu de l'eau, les arbres nous l'ayant caché jusque là. Il était situé dans le prolongement d'un grillage métallique qui s'enfonçait dans le lac, mis sûrement là pour empêcher les brebis d'aller se fourvoyer dans les marécages de la rade.
Je crois que c'est le plus beau coin de pêche que nous n'ayons jamais trouvé. Le décor y est somptueux. Sur notre droite, un pré occupant tout le flanc de la colline déploie sa rive presque rectiligne vers le large et l'immensité du barrage. Sur notre gauche, la petite rade, dominée par une haie de très gros chênes, offre sa pente très très douce à une colonie d'iris et d'ajoncs. En face, au milieu d'un bois qui s'étend à perte de vue, une autre petite rade, posée là, comme une perle dans son écrin, pour permettre à l'imagination de vagabonder dans un monde de beauté, de calme et de sérénité.
C'est ce site que l'ASPTT avait choisi pour y établir une base nautique ; quelques installations rudimentaires traînaient ça et là à l'orée du bois. Nous avons donc appelé cette rade "la rade des PTT".

Et la pêche ? Tout simplement phénoménale ! Pierrot prit 4 brochets et moi 3, que des beaux (à cette époque d'opulence, tout poisson de moins de 60 cm était remis à l'eau). On y revint de nombreuses fois sans jamais connaître la bredouille. C'est ici qu'un jour, j'amenais un collègue de la Poste, dont la réputation de pêcheur de truites à la mouche avait largement franchi les frontières du département. L'ami Majoulet, puisqu'il s'agit de lui, voulait connaître autre chose que ses belles mouchetées. Manque de chance, ce jour-là, un vent violent rendit la pêche pratiquement impossible, et une cinglante bredouille sanctionna cette première partie de pêche avec le maître.

Petit à petit, les différentes tempêtes qui secouent régulièrement le lac eurent raison du tas de branches, mais le coin restera pour nous un haut lieu de pêche et d'expérimentation. C'est en effet là que l'on découvrit, par un hasard bienvenu, une astuce pour se sortir d'une situation assez désagréable bien que peu fréquente. Lorsque l'on pêche tout près d'arbres ou de branches immergés, il arrive que le poisson, après avoir été ferré, y pénètre pour y trouver refuge et salut.
C'est ce qui venait de m'arriver pendant que j'essayais de débloquer mon pauvre moulinet (pauvre il l'était, nos maigres ressources ne nous permettant que l'achat du plus bas de gamme). Je tirais à la main sur le fil, des fois que le poisson vienne sans rechigner, mais au lieu de cela, je sentis la lourdeur caractéristique du poisson prenant appui dans les branches et je le considérais comme perdu.
Je pris mon temps pour démonter le malade, remettre un peu d'ordre dans ses roulements, vérifier que le blocage avait disparu et le remonter. Cela me prit bien 5 minutes. Je récupérais le fil qui s'était échappé du moulinet ouvert, tout en trouvant pour le moins bizarre que, au lieu de partir sur la gauche vers les branches, il partait vers la droite et le large. Je continuais de le rembobiner machinalement, imputant ce phénomène à quelque courant de surface.
Et puis soudain, ce fut le contact violent avec le poisson. Il était sorti tout seul du tas de branches, de son plein gré, alors que chaque fois que nous avions essayé de les déloger par la force, en tirant dans tous les sens, c'était toujours par une casse que ça se terminait. Et là, en laissant le poisson tranquille, il était sorti. Cette astuce a servi depuis de nombreuses fois. Elle n'est pas efficace à cent pour cent, mais elle a fait suffisamment ses preuves pour être prise en considération.

Mais nous n'avions pas attendu que l'amas de branches disparaisse pour prospecter un peu mieux cette magnifique rade et à notre grande surprise, tout le fond se révéla être un excellent poste à brochets, malgré son manque de profondeur, l'absence de branches immergées ou de simples murets. Non, ici, ce qui semblait attirer les brochets, c'était plutôt l'herbier qui prolongeait le marécage dans l'eau. Notre pression de pêche sur cette rade fut très forte, mais c'est à partir de cette date que nos études respectives ne nous permirent plus que de rares pêches en commun.

Je me rappelle un jour d'hiver où, sans doute déçu par le manque d'appétit des poissons, j'ai lancé un vif au milieu de la rade et puis, le laissant faire ce que bon lui semblait, je me suis promené le long du lac, pêchant ça et là, sans trop d'illusions. Je revenais très tranquillement vers mon matériel lorsqu'un magnifique brochet exécuta une superbe chandelle à plus d'un mètre de haut, tout son corps prenant appui sur sa queue dans une formidable démonstration de puissance, mais à mon opposé par rapport à la rade.
Devant cette évidente preuve d'activité, je me précipitais pour essayer d'en profiter sur-le-champ. Arrivé près de l'endroit où le funambule venait d'exécuter son numéro, j'armais mon lancer lorsqu'il fit une nouvelle cabriole, juste devant moi, la gueule grande ouverte, d'où dépassait un malheureux poisson... et toute une ligne !
La réaction fut immédiate. Ce brochet était pris à mon autre canne. Après un sprint effréné, je la saisis tout essoufflé, mais le beau poisson avait fini par casser le fil et se faire la belle.

C'est certainement le coin où j'ai attrapé le plus grand nombre de brochets au poisson mort manié , une technique redoutablement efficace mais qui fut ô combien longue à apprendre.
De nombreux articles de la revue spécialisée que je lisais se faisaient l'écho de cette pêche toute nouvelle. La description qui en était faite, bien que certainement très rigoureuse, ne m'avait pas permis d'atteindre l'efficacité escomptée. J'arrivais à deviner toutes les subtilités liées à ce mode de pêche, mais l'inadéquation du matériel alors disponible sur le marché ne me procurait aucune des sensations si bien décrites.
Je transformais dans un premier temps une canne "polyvalente" en en rigidifiant un peu la tête par l'adjonction d'un bout de scion à l'intérieur du sien. Le résultat fut probant, je sentais enfin mon animation du poisson mort et la clarté de l'eau me permit rapidement de mettre en pratique ce que la théorie m'avait appris.

J'avais fait tout le tour de la zone marécageuse et celui de la jolie petite rade sans sentir le moindre poisson. J'arrivais ainsi, un peu désabusé, au bord d'un rocher plongeant verticalement dans deux mètres d'eau, pratiquement en face de l'ex-amas de branches. Au premier lancer vers le large, lors de la récupération, je n'arrivais pas à manier correctement mon poisson, une lourdeur passive entravant mon action. Je continuais quand même de pêcher avec application, ayant hâte d'assimiler le plus rapidement possible un rudiment de technique pour être un peu plus efficace. Quand d'un coup, ce fut la traction vive du brochet au bout de la ligne ; mais c'était trop tard, il venait de se décrocher sans que je n'aie pu le ferrer.
Je récupérais à grande vitesse mon poisson mort pour le relancer immédiatement, rêvant déjà d'une nouvelle touche. Mais son aspect avait changé. Il était tout tailladé sur les côtés, de longues balafres, comme celles qu'aurait faites une lame de rasoir. J'en avais déjà constaté à plusieurs reprises sur le flanc de mes poissons morts, mais je n'avais pas fait le rapprochement avec l'attaque d'un brochet. Avec le recul, combien de poissons j'ai dû manquer à ces débuts, sans la moindre perception de l'attaque.
Pour en revenir à mon récit, je réinstallais tant bien que mal le poisson mort sur sa monture, les dents du brochet ayant fait d'énormes dégâts et je le relançais à peu près au même endroit. Tout excité, je recommençais à le manier, prêt à intervenir à la moindre alerte. Et ça ne tarda pas. Je ressentis de nouveau la même lourdeur... ferrage immédiat. Et il était au bout, mon PREMIER brochet pris au poisson mort manié. C'était un correct, entre 2 kilos et 2,5 kilos, mais dans le contexte de l'apprentissage de cette technique, il prenait une importance toute autre.

La suite fut beaucoup moins exaltante. Beaucoup de poissons ferrés se sont décrochés au bout d'un temps plus ou moins bref. La canne n'était pas assez puissante pour assurer un ferrage efficace dans la mâchoire très dure du brochet. Mon marchand habituel m'en procura alors une nouvelle, ayant de la puissance à revendre, et je me permis le luxe d'y monter les anneaux exactement où je voulais (ça a fait tomber le prix de moitié, aussi !). Anecdote : Pierrot refusa toujours, à cette époque, de s'essayer au poisson mort manié.
Malgré une technique encore peu au point, les prises commençaient à se succéder et mon engouement pour cette pêche devint passion. En plus, certains jours, les poissons se sont montrés très coopératifs. Il m'est arrivé plusieurs fois qu'un brochet prenne mon poisson avec tellement d'agressivité que son attaque se traduisait en surface par un énorme remous. Il n'y a pas plus exaltant pour un pêcheur amoureux de la nature que cette violente manifestation de vie... et de mort !

Un autre jour, n'ayant pas le moindre poisson à mettre sur mes montures, j'ai acheté 3 ou 4 poissons rouges, et plutôt que de tuer ces jolies bestioles, je décidais de les utiliser vivants. La rade des PTT étant occupée par quelques autres pêcheurs, c'est un peu plus loin que je m'installais, juste à l'entrée d'une toute petite anse. La pêche ne valait rien et comme d'habitude, je m'éloignais de mes cannes, histoire de faire une petite balade dans ce magnifique décor.
Lorsque je revins, un de mes flotteurs avait disparu. Il ne restait plus que le nœud terminal dans le moulinet, tout le fil était sorti, et je ne pus en récupérer qu'une infime quantité. Tout le reste devait se balader derrière un brochet ou être emberlificoté dans quelques racines.
Après un abandon momentané, il m'est arrivé de retrouver une de mes lignes avec un poisson au bout ; mais c'est vrai que l'on a beaucoup plus de chance de la retrouver vide ou cassée.

Pierrot revient chaque année passer quelques jours de congé au bord du lac. Nous primes rendez-vous pour, le temps d'une journée, renouveler nos parties de pêches communes. C'était au fond de la rade des PTT, en bordure du marécage. La pêche était lamentable, pas le moindre brochet. Pierrot en profita pour s'essayer au poisson mort manié.
Nous avons commencé à prospecter méthodiquement toute la rade sans grand succès, seul un joli banc de gardons patrouillait au large. J'insistais un petit peu tout autour de cette présence piscicole, plus pour occuper le temps que dans l'espoir de quelques captures. Après un lancer très appuyé pour pêcher bien au-delà des poissons, je venais à peine de commencer à manier lorsque j'eus la sensation d'une touche (la perception de l'attaque est bien souvent très très délicate, un infime signe qui peut tout aussi bien être l'œuvre d'un obstacle). Je ferrais et rien ne bougea, j'étais certainement accroché. Je tirais en force pour essayer de m'en sortir mais c'est un obus qui m'arracha presque la canne des mains. Je ne réussi à débloquer le frein du moulinet (bloquer pour me permettre de tirer et de décrocher voire de casser) qu'à l'extrême limite de rupture du fil ! Le brochet me prit 40 mètres de fil sur ce premier départ, puis résista longuement avant de s'avouer vaincu.
C'est le plus gros brochet que l'on ait pris ensemble, Pierrot et moi<:<4,5 kilos. Et ce fut notre dernière partie de pêche commune. Cette presqu'île du Mas Atché n'eut bientôt plus aucun secret pour moi. Et j'en garde d'innombrables souvenirs. .Un jour où un de mes neveux m'accompagnait (il avait 11 ou 12 ans à l'époque), après avoir ferré un brochet qui ne me semblait pas très gros, je lui mis la canne entre les mains et je le laissais se débrouiller (et beaucoup s'amuser) pour sortir le poisson. Je lui prodiguais quand même quelques conseils car il ne s'était même pas aperçu qu'un moulinet, ça possède une manivelle. Une autre fois, je pêchais avec Michel, mon beau-frère. C'était dans la rade que nous avions inaugurée avec Pierrot. Nous explorions méticuleusement tous les postes, même les plus insignifiants. Michel arrive le premier à proximité d'une petite rade dont tout le fond était envahi par les herbes. Jugeant le coin impêchable, il s'apprêtait à le traverser à grandes enjambées. Je l'arrêtais immédiatement, cet herbier me paraissant trop somptueux pour ne pas receler au moins quelques brochets embusqués, surtout que je venais de remarquer une petite trouée en son milieu. J'y lançais délicatement et avec précision mon poisson mort. Je n'eus même pas à manier. Dans une gerbe d'eau, un brochet venait de s'en emparer. Il s'était planqué dans 30 cm d'eau, prét à sauter sur le premier poissonnet qui s'aventurerait dans l'herbier. Il faisait 3,5 kilos, tout de même. Et le jour où avec Majoulet, après avoir senti un brochet attaquer mon poisson mort, j'ai essayé de lui montrer quelles différences il y avait entre un accrochage sur le fond et une touche. Je levais la canne bien haut et je tendis le fil juste ce qu'il fallait pour mettre en évidence les petites tirettes - correspondant au machouilli du poisson - qui animaient le scion. Mais en fait l'attaque est beaucoup plus une sensation imperceptible qu'une manifestation bien visible (quoique maintenant, avec les fils fluos). Et Majoulet ne voyait toujours rien. J'insistais en tirant un peu sur le fil. Toujours rien. Et puis, ce qui devait arriver arriva. Le brochet, lassé de "tuer" un poisson bizarre, venait de lâcher sa proie... et il ne revint pas. Tous les gros paniers ne m'ont jamais laissé beaucoup de souvenirs... c'est pour ça que je ne parle que des "sauve-bredouilles", parce qu'il a fallu se battre pour les avoir. Mais je vais vous conter quand même un de ces massacres. Un jour, avec Alain, on pêcha environ le quart de la presqu'île, une longue mais belle balade. A cette époque, les pêches faciles et somptueuses étaient finies depuis longtemps. .On se doublait à chaque poste, afin de répartir équitablement les chances de prise d'un poisson. Mais lui en était à ses tout débuts et le maniement d'un poisson mort n'est pas chose facile. J'attrapais rapidement un brochet, puis un second et nous arrivâmes dans une rade, où avec Michel, ils avaient connu une belle réussite (je ne sais plus si c'est 3 ou 5 brochets qu'ils y avaient touchés). Il voulut insister longtemps sur ce poste, tandis que je continuais ma prospection. Mes prises se succédèrent et lorsque j'arrivais à la voiture, c'est 7 beaux poissons que je possédais (je dus faire 3 voyages pour les y apporter) et j'en avais remis 2 autres à l'eau, estimant leur taille un peu "juste" bien que largement au dessus de la maille... mais quand on a fait pêche, c'est pas la peine de tout garder, les petits d'aujourd'hui feront les gros de demain ! Quand Alain me rejoignit, ce fut pour m'annoncer une cinglante bredouille. .C'est ce parcours que j'ai toujours trouvé le plus beau, non pas à cause de sa richesse piscicole (les bredouilles y étaient beaucoup trop fréquentes), mais en raison de la beauté de tout le site. En son milieu, il y a une petite rade dont l'arrondi des courbes ne peut que flatter l'oeil. Elle est au creux d'un joli ballonnement recouvert par les prés. Une de ses pointes est boisée de résineux dont la lisière est gardée par une petite maison au toit de lauzes, alors que la rive opposée possède quelques grands arbres - chênes, aulnes - regroupés en un petit bosquet brisant par ses lignes verticales la curvité du fond de la rade. Un jour où le lac était très haut, j'arrivais près d'une anse isolée du large par une rangée de barbelés. Elle avait dû être posée lorsque le lac était beaucoup plus bas car, ce jour-là, elle disparaissait sous plus d'un mètre d'eau. Je pêchais méticuleusement toute l'anse, mais en évitant avec soin les barbelés pour ne pas y laisser trop de matériel : aucune touche, pas le moindre sifflet (petit brochet). Je m'apprêtais à continuer ma progression sur la rive vers d'autres postes lorsque, phénomène très rare, un brochet vint marsouiner tout près des barbelés, mais vers le large et à 30 mètres de moi environ. Osant enfin risquer l'accrochage et la casse, je me décidais à pêcher cet alerte spécimen. La touche fut immédiate mais comme j'étais sur mes gardes, je bridais d'autorité le téméraire vers le large, canne complètement couchée à l'horizontale. .C'était un brochet de 2 kilos. Il m'avait paru plus gros lorsqu'il avait fendu la surface. Je repris ma progression sur la rive, mais avec toujours en tête ce doute : est-ce bien celui que j'ai vu ? Après quelques lancers infructueux, ma décision était prise : il fallait que je retourne aux barbelés ! .J'effectuais un second lancer à peu près à l'endroit où le premier brochet se tenait : seconde touche, second combat. Je couchais la canne dans l'eau pour amener le poisson vers le large au début, puis je la redressais pour pouvoir le fatiguer et le mettre au sec. C'était de nouveau un brochet de 2 kilos, exactement identique au premier. .Pourquoi pas un troisième ? Surtout que celui que j'avais vu me paraissait plus gros, plus dodu. Nouveau lancer au ras des barbelés, nouvelle touche, et premier accrochage. Un fil de barbelé qui traîne sur le fond imite à la perfection la touche d'un carnassier. A force de "tirettes/relâchers", j'arrivais à me détacher et après avoir changé le poisson mort, je prospectais plus au large ; rien. Je me rapprochais de nouveau des barbelés et second accrochage. Toutes les ruses et astuces pour se décrocher furent vaines, je fus contraint de casser. Je remontais une monture, puis un poisson mort dessus, et je lançais très loin vers le large. .J'ai bien dû pêcher sur 10 mètres avant d'avoir, ô agréable surprise si loin des barbelés, une troisième touche. Il était beaucoup plus gros, pas loin de 4 kilos, et lui, par contre, ressemblait davantage à celui que j'avais vu marsouiner. Comme quoi une impression fugitive peut se révéler source de grande joie !

Un plaisir solitaire, la pêche ?

Le lac de Pareloup est très riche en carpes, certaines étant très grosses. Cette abondance ne m'a jamais laissé indifférent, il suffit de voir le nombre de fois où j'ai essayé de les attraper avec "la monture à Pierrot". Ce qui m'a conduit tout naturellement à les pêcher par des moyens légaux. C'est le maïs cuit qui fut choisi pour appât, et après une étude minutieuse du lac, j'installais une "base" sur une petite avancée le long d'une prairie. Elle me paraissait suffisamment éloignée des lieux fréquentés par les gêneurs, et le grand nombre de carpes qui manifestaient leur présence par des sauts bruyants était très encourageant. Quant au décor, la prairie en pente douce est coiffée par une des lisières du grand bois des PTT tandis qu'un mamelon de bruyères et de fougères occupe l'autre rive de la rade. Au milieu de celle-ci, une petite île se mire dans l'eau cristalline du lac. Sur la gauche, la rade s'enfonce entre un grand bois de résineux et des petits prés aux berges très découpées. Tout cela en fait l'endroit rêvé pour une longue pêche d'attente.

Pendant deux jours, je déversais sur un périmètre de 300 mètres de long sur 50 mètres de large, 5 kilos de maïs et ce, une fois le matin et une seconde fois le soir. Normalement, Michel, mon beau-frère, devait faire "l'ouverture" avec moi le troisième jour. Mais un contretemps incontournable l'en empêcha. Mon impatience et ma soif de combat firent que je n'hésitais pas : je la ferai seul !
Le soleil était loin d'être levé que déjà j'étais dans ma petite barque, toutes les cannes prêtes, le maïs dans le seau, là, sous mes fesses, les lignes soigneusement enroulées sur le dévidoir, l'épuisette... Bon, je pense qu'il ne manque rien, même pas les canettes de bière. Petits coups de rames pour m'éloigner du camping sans réveiller tout le monde en démarrant le moteur, et je me dirigeais plein de rêves vers la base.
J'entendais un peu partout dans la rade le bruit des sauts de nombreuses carpes mais l'obscurité ne me permettait pas de les localiser. Comme les 2 autres matins, j'appâtais abondamment. Mon cœur battait la chamade, je devenais de plus en plus nerveux. L'excitation que me provoquaient les carpes en sautant était trop forte et c'est plein gaz que je rejoignais la rive afin d'être opérationnel le plus rapidement possible.

Je montais fébrilement la première canne, le bas de ligne, le grain de maïs sur l'hameçon, je lançais le tout à 60 mètres environ (difficile d'apprécier les distances, l'aube étirant péniblement ses premières lueurs), je desserrais le frein du moulinet et je posais la canne un peu n'importe comment sur un rocher pour m'occuper de la seconde. Je n'en eu pas le temps, le moulinet de la première émettant son chant si sympathique. Premier ferrage. Et alors là, quel plaisir ! Quelle puissance
Je ne sais pas combien de temps dura ce premier combat. Enfin, je réussis à amener mon adversaire près du bord et je tentais de l'échouer : raté ! Et la carpe de repartir vers le large et de tirer, et de tirer, alors qu'il fallait que j'abrège le plus rapidement possible cette échauffourée sous peine d'aller au devant d'une première casse. Dans ma précipitation, j'avais oublié de déployer l'épuisette, et elle était là, au fond de la barque, coincée sous les autres cannes, le seau de maïs, le réservoir d'essence pour le moteur... Je devais la sortir de ce "foutoir". Tant que la carpe était au large, l'élasticité du fil m'autorisait à pas mal de manœuvres. Je m'asseyais sur le bord de la barque et je coinçais la canne dans le creux du genou ce qui me libéra une main. Sans trop me soucier des conséquences, je tirais avec vigueur dans tous les sens sur l'épuisette et après avoir renversé tout le matériel sur son passage, je pus enfin la récupérer.
Pour la déployer, ce fut un autre poème. Et la carpe de continuer son manège. Après moult péripéties, j'étais prêt à "épuiser" mon poisson. Mais au bout de la ligne, cela faisait quelques temps que la captive n'avait plus le même comportement. Le fil ne traversait plus l'horizon de gauche à droite et de droite à gauche, à la suite de la carpe ; non, il était immobile sur ma gauche, mais bien tendu pourtant. J'exerçais une petite traction supplémentaire à laquelle le poisson répondit en me prenant 3 mètres de fil. Il ne resta pas bien longtemps au bout de la ligne ; le fil devenu tout mou était sans équivoque : je commençais la journée par une casse ! Dorénavant, il faudrait que j'aie toujours à l'esprit qu'un obstacle dangereux se trouve sur la gauche du poste.

J'équipais de nouveau la canne et je lançais au même endroit. J'ai quand même eu le temps d'en équiper une seconde, de la lancer, de la poser, mais pas d'en faire plus, le fil se mit à sortir à toute vitesse de son moulinet ouvert. Le maïs, à peine arriver sur le fond (même peut-être avant), s'était fait happer par une nouvelle gourmande. Combat dur et long, mais victoire : je sortais ma première carpe.
Le jour commençait seulement à poindre, les nuages bas ne laissant passer qu'une faible luminosité ; les ombres n'existaient pas, les silhouettes seules permettaient de distinguer ici un arbre devant un pré, là un rocher et au large l'île. Ce décor, qui paraîtrait triste et froid à beaucoup, était pour moi beau, calme et riche. La matinée promettait d'être belle, terriblement belle.
En fait, je ne fus jamais en mesure de pêcher avec plus de 2 cannes. Les touches se succédaient sans interruption. Et lorsque à midi (bien passé même), je rejoignais le camping après avoir rendu la liberté à mes 7 captives, ce sont en fait 20 ou 25 carpes qui avaient eu le bon goût de solliciter mes services. Les casses furent très nombreuses, entre les poissons qui se sont réfugiés dans "l'obstacle" et ceux que j'ai été contraint d'abandonner, étant déjà occupé sur un autre. La première fois ou il y eu 2 départs simultanés, j'ai bien essayé de réussir un doublé, mais rapidement, je me suis aperçu qu'il me faudrait 4 mains : 2 pour les cannes et 2 pour les moulinets. Les fois suivantes, je me suis contenté de bloquer un des fils jusqu'à ce qu'il casse.

Le repas (je n'avais que faire de cette formalité) fut expédié, le mot n'est pas trop fort, à la vitesse grand V ! Michel devant m'accompagner l'après-midi, je me fis une joie (et une folle impatience) de l'attendre. La rade était vide, aucun poisson ne sautait, seulement le défilé calme et tranquille de petites vaguelettes qu'une légère brise engendrait. Les grains de maïs furent généreusement dispersés, puis la petite barque nous ramena à la rive. A peine le moteur coupé, PLAOUFF ! Une carpe vint cabrioler à la surface, à l'endroit précis où nous venions d'appâter, suivie presque immédiatement par une autre un peu plus loin, et là-bas, encore une autre ! Conserver son calme dans pareilles circonstances relève d'un exploit digne d'un moine tibétain ou d'un employé de la sécu helvétique. Notre frénésie ne pouvait qu'être égale à celles des poissons. Et le film se remit à tourner, toujours la même scène, avec les mêmes acteurs (sauf un bien sûr ! ), mais jamais lassante, toujours aussi captivante, excitante et ô combien passionnée. .Michel n'avait eu qu'une seule expérience de ce qu'était un gros poisson. Il avait tenu une grosse carpe qui se promenait à la surface d'un autre grand lac aveyronnais. Après l'avoir "grapinnée", je lui avais mis la canne dans les mains ; mais comme tous les novices, il eut peur de laisser partir trop de fil et il cassa, ouvrant de grands yeux hébétés tellement la force et la puissance de ce poisson venait de l'impressionner. Les touches furent moins nombreuses que dans la matinée. Mais on ne perdit pas notre temps, surtout que l'on réussit à déjouer le piège de "l'obstacle". Après qu'une carpe s'y soit réfugiée, au lieu de continuer de tirer sur le fil ou de courir d'un bout à l'autre de la plage, je sautais dans la barque préalablament vidée, et par quelques vigoureux coups de rames, je me propulsais jusqu'à son aplomb, tout en excécutant une large boucle vers la droite pour ne pas trop bloquer le fil. Et le contact brutal avec le poisson me prouva que j'avais eu raison. Mais après, je fus très déçu par sa défense trop molle. La barque n'offrant pas assez d'inertie, la carpe n'a aucune difficulté à la remorquer, ce qui diminue d'autant les perceptions qu'en a le pêcheur. Grâce à cette astuce, on ne perdit plus aucun poisson ce jour-là.

Sitôt rentré, je téléphonais à Majoulet pour l'inviter, dès le lendemain, à participer à cette magnifique fête. Malheureusement, il n'était pas libre, mais rendez-vous fut pris pour le surlendemain. .Notre journée au bord de l'eau n'était pas passée inaperçue. Chaque fois que l'on sortait un poisson... ça se voyait : la canne courbée, la position caractéristique du pêcheur essayant de fatiguer le poisson, le sifflement du fil trop tendu vibrant dans l'air, tout cela ameutait la populace vacancière de très loin. On faisait le ménage régulièrement, mais on ne pouvait pas, décemment, envoyer sur les roses les autres occupants de notre camping, surtout qu'il était privé. Ce qui fit que, le lendemain, deux autres pêcheurs se joignirent à nous, avec leurs propres matériels il est vrai (jusqu'au maïs). Mais si l'un était le vrai dilettante, le pêcheur venu là pour admirer le temps, l'autre avait la mentalité du viandard pur et dur : la vie de tout ce que j'attrape m'appartient. J'en fus énormément déçu, surtout que la journée fut belle, sous un soleil radieux. Et c'est 7 ou 8 carpes de plus de 10 kilos qui passèrent de vie à trépas. Que peut-on faire de pareille quantité de poisson ? Pas bien fameux en plus. Nourrir ses poules ! Ou celles du voisin ! Vivement demain, que l'on pêche avec des gens plus "fréquentables".

Majoulet arriva vers 10h, accompagné d'amis de Paris. Michel, moi et les deux autres, nous étions tous sur le poste depuis le matin. Dans la première demi-heure de pêche, trois carpes avaient été prises, mais depuis, plus rien, plus un seul départ. Sitôt les présentations faîtes, je décidais d'aller stimuler l'appétit des gourmandes par une généreuse distribution de grains de maïs. Le résultat ne se fit pas attendre. A peine revenu sur la rive, le sympathique chant d'un des moulinets se fit entendre. J'aurais aimé que ce soit Majoulet qui "combatte" cette carpe, mais ses amis avaient amené avec eux une caméra vidéo et ils voulurent que j'assure cette première prise, comme si moi aussi, je ne pouvais pas commettre une erreur bénéfique à la carpe. C'est vrai qu'aucun d'eux n'avait jamais eu à combattre de si gros poissons. Une fois ma déception avalée, je collaborais de tout mon coeur à ce qui allait être "un document pour la postérité". Je rêvais d'un film à suspense, où le poisson allait lutter jusqu'à l'épuisement, où le pêcheur n'aurait jamais la certitude de gagner cet homérique combat, combat dont l'issue serait sans cesse repoussée par un nouveau rush puissant ; bref, il fallait que cela soit palpitant, émouvant, tragique !

En fait, j'étais ridicule. Lorsque j'essayais de montrer la puissance du poisson, je ne donnais que l'image d'un pêcheur idiot tirant comme un forcené sur son matériel ; la bête humaine, quoi ! Je me rappelle qu'à un moment, je me suis même pris pour Clausterman luttant avec ses espadons : J'ai manoeuvré la carpe pour la forcer à venir en surface, pensant que l'image de ce poisson de cuivre et d'or se détachant dans l'eau cristalline pourrait évoquer les redoutables combattants de l'illustre héros ! Mais sur le film, on ne vit qu'un pêcheur remontant en marche arrière la colline, donnant forces explications (très obscures) sur la manière de driver un gros poisson et souriant bêtement au caméraman. L'intensité de la lutte, la dramaturge du combat, avaient laissé leur place à une démonstration très naïve, qui fut sauvée du ridicule par un soupçon de comique du style "cinéma muet".

La matinée se poursuivit dans la bonne humeur générale, malgré le peu d'appétit des carpes ; mais il est vrai que les canettes de bière ne sont pas toujours le remède idéal contre la canicule et qu'une bouse bien fraîche oubliée là par quelque vache avait provoqué l'hilarité de tout le groupe ; paraît que ça porte bonheur, on allait bien voir ! Majoulet et ses amis pique-niquaient sur place, tandis que nous, nous étions attendus au camping pour le repas de midi. On en profita, en partant, pour disperser quelques nouvelles graines et leur souhaiter bonne chance. Après le repas, toute la famille devait nous rejoindre sur le poste. Ca promettait un bel attroupement. J'espère que les carpes ne nous en tiendraient pas rigueur, déjà que la matinée avait été passable. Pendant notre absence, une carpe avait bien fait chanter un moulinet, nous ont-ils raconté, mais le ferrage dans le vide laissait supposer que le poisson s'était entravé dans le fil ou avait pris trop délicatement, du bout de ses lèvres, le grain de maïs. On commença l'après-midi par l'habituel amorçage. Le premier départ ne traîna pas, et Majoulet se fit un plaisir de combattre et de sortir un poisson avoisinant les 10 kilos. La suite de la journée ne fut que rires, exclamations et cris de joie, à chaque nouvelle capture. Tout le monde sortit sa carpe. Les touches ne furent pas nombreuses, 5 tout au plus, mais très régulières, pratiquement une à chaque heure. Le chahut qui régnait sur la plage ne perturbait pas du tout les poissons. Cette chaleureuse ambiance est autrement plus sympathique que la longue et pénible attente habituelle. Le soir venu, on libéra toutes les captives, sauf l'éternel viandard qui en avait besoin d'une pour sa grand-mère, une autre pour son voisin, une autre pour l'oncle au copain...

Le lendemain matin, on se retrouvait, Michel et moi, à nouveau seuls sur le poste. On avait commencé la pêche vers 7h, mais pas la moindre touche n'était venue rompre une attente triste et morne ; cela nous changeait beaucoup de l'ambiance de franche camaraderie de la veille. Vers 10h30 - 11h, nous vîmes arriver les amis de Majoulet : Gilles, le mari, n'avait pas pris cette fois-ci la caméra vidéo, mais un sac de grosse toile, avec pour mission de ramener une carpe de 5 kilos, pas plus (la plus petite que l'on ait prise jusque là pesait pas moins de 8 kilos !), pour la faire rôtir à la broche le lendemain. Et toujours pas la moindre touche... alors, une carpe de 5 kilos !

Nous les quittâmes vers midi pour rejoindre la famille et prendre notre repas, fort attendu celui-là, car il apportait une cassure dans une journée bien monotone. L'après-midi commença tout aussi péniblement... enfin, vers les 16h, se produisit le départ tant attendu. Après un combat sans grande intensité, c'est une carpe d'un peu plus de 6 kilos qui échoua dans l'épuisette. Elle fut précieusement gardée vivante, des fois que la suivante eut été un peu plus petite. La façon dont on procédait pour cela consistait à passer une cordelette par la bouche du poisson, la faire sortir par une ouïe, lui faire chevaucher la tête, la faire entrer par l'autre ouïe, la faire ressortir par la bouche et finir en la bloquant par un noeud de chaise, le seul qui ne glisse pas et soit facile à défaire. Attention de ne pas abîmer les fines et délicates branchies. Par ce système, nous n'avons jamais vu périr un seul poisson, et ça marche aussi pour les brochets... mais faut oser leur mettre la main dans la bouche ! Il n'y eut pas de suivante de toute la journée. Le sort avait donc désigné celle-là comme devant être notre malheureuse victime. Je la tuais sans amertume (je savais qu'elle serait l'objet d'un repas de fête) par un violent coup derrière la tête. Notre surprise fut grande lorsqu'en la vidant, l'on vit la quantité énorme de grains de maïs qu'elle avait pu avaler et qui distendait son ventre ! Rendez-vous fut pris pour, le lendemain, déguster ce poisson qui ne représentait pour moi, jusqu'alors, que bien peu d'intérêt gastronomique.

Vers 9h, la matinée du lendemain commença pour moi par un déplacement à travers les routes aveyronnaises jusqu'au domicile de Majoulet.

A peine arrivé, j'eus droit à la cassette vidéo ; rien de tel pour mettre de bonne humeur. Puis on alluma un grand brasier tandis que d'autres préparaient la carpe et ses garnitures. C'était en plein mois d'Août, la fraîcheur matinale avait fait place à la canicule habituelle ; la proximité du grand feu n'arrangait rien en plus. On avait tous soif, et quelques bières vides commencèrent à s'échouer au fond de la poubelle de service.

Après, ce fut l'apéritif, bien que le pluriel soit plus juste tellement il fut long. Enfin, vers 13h, on commença le repas ; ce fut un repas bien dans la tradition aveyronnaise, c'est-à-dire très copieux mais excellent. Même la carpe arriva à me séduire : Elle n'y acquit pas des lettres de noblesse, mais elle fut agréable à manger. Et comme toujours, le vin que sorti Majoulet pour accompagner tout ça était sublime. Ah ! Ce bourgogne ! Pour finir, la petite gnôle, à la poire pour moi. Je ne sais pas pourquoi on dit "une petite" gnôle, parce que les doses !!!

On se leva de table pour aller admirer la collection de pierres d'un des Parisiens. Elle ne le quittait jamais, pas même en vacances où il la gardait dans une cache, sous le tapis de la voiture. C'est d'ailleurs eux, les Parisiens, qui avaient communiqué à Majoulet cette passion pour ces merveilleux cristaux et fossiles. Les pierres que je vis ce jour là ne sont plus jamais sorties de ma mémoire. Au hasard, un saphir incrusté en haut d'un quartz d'une pureté sans faille, ou trois fluorines d'une limpidité jamais vue, d'un éclat parfait (alors qu'elles sont toujours "poussiéreuses"), aux arêtes bien tranchées, allant d'un angle du cristal à l'autre, sans la moindre cassure, "posées" sur de la baryte d'une qualité irréprochable... J'étais émervéillé (et je le suis encore), moi qui, comme tout le monde, avais collectionné quelques petits cristaux ridicules et les avais trouvés beaux.

Après, histoire de digérer un petit peu ce repas (et cet alcool), on attaqua un tournoi de ping-pong. Cela faisait bien une heure que l'on jouait lorque Gilles demanda s'il n'y avait que lui qui avait soif ? Forcément, dans cette petite pièce couverte par de la tôle ondulée chauffée à blanc par le soleil, tout le monde avait soif ! Et il partit chercher quelques sirops ou quelques bières, pensions-nous. Faux ! Il revint avec du champagne ! On retourna chez Majoulet (il n'y avait que la rue à traverser) pour la boire dans un lieu plus sympa. A nous quatre, la bouteille, bien fraîche, ne résista pas longtemps. Les deux Parisiens commencèrent alors à regarder la collection personnelle de Majoulet (toute la maison en est envahie) et à en juger une par une les pierres : celle-là est pleine de coups (de "pignes"), elle est toute terne, les cristaux sont minuscules... allez, à jeter ! Pratiquement toutes y passèrent. D'après leurs dires, seulement une pierre sur dix avait de l'intérêt. Pour moi, même la plus laide des laides était encore fabuleusement belle ; mais c'est vrai qu'il en avait exposé un peu trop, qu'un tri dans les vitrines eût été souhaitable ; surtout qu'il ne manquerait pas de repreneurs pour échanger les "exclues".

Après cette critique en règle, comme l'heure avait continué de tourner, on repartit une nouvelle fois de chez Majoulet pour aller boire l'apéritif chez un des Parisiens, à 100 mètres de là tout au plus. C'est du "pousse-rapière" qui fut servi à tous ; aussitôt, certains se sentirent d'attaque pour se remettre à table. Pris par le flot, et malgré une absence presque totale d'appétit, j'essayais d'ingurgiter un nouveau repas. Celui-ci fut léger, à base de salades composées, mais toujours arrosé de bons vins. On discuta pendant quelques temps de la qualité de l'eau de nos rivières, de la toute puissance d'E.D.F., de l'utilité, voire des dangers des centrales nucléaires... puis on retourna encore une fois chez Majoulet pour y faire un tarot. .Les parties se succédaient aux parties, dans une chaleureuse ambiance, les rires et les éclats de voix retentissant jusque dans la rue. Cette "chaude" soirée fut à un moment interrompue par la sonnerie du téléphone. Majoulet se leva pour aller répondre ; quant à nous, on sorti les tasses pour boire soit le café soit la tisane. Lorsqu'il revint, ce fut pour me dire que c'était ma mère. Je l'avais complètement oublié ! Je lui avais promis de passer dans l'après-midi, vers 3h, pour l'amener faire une petite promenade au bord de Pareloup. Et c'était presque 1h du matin. Elle commençait seulement à s'inquiéter de mon absence ; faut dire que j'avais habitué mes parents à des heures de rentrées pas très "normales". C'est ainsi que prit fin une mémorable journée bien bien "arrosée".

Michel et moi nous reprimes, dès le lendemain matin, nos chères cannes. Les deux autres étaient toujours avec nous. La matinée fut lamentable, pas un seul départ malgré les fréquentes distributions de maïs. Au début de l'après-midi, je changeais un petit peu le montage de la ligne sur une des cannes. Je remplaçais le plomb terminal de 30 grammes par un de 50. Ca me permit de lancer 20 mètres plus loin. La réponse fut presque immédiate car 5 minutes plus tard, le moulinet commençait sa folle sarabande. Toutes nos autres cannes furent soumises à la même modification. Mais celles de nos deux accompagnateurs étaient trop peu puissantes pour lancer pareille masse. Ils durent se contenter de pêcher toujours à la même distance. A la fin de la journée, avec Michel, on avait sorti 3 grosses carpes, entre 12 et 15 kilos. Elles tirent vraiment très fort au bout de la ligne ; elles sont moins rapides que des plus petites mais elles se battent beaucoup plus longtemps. Les deux autres n'eurent pas la moindre touche. Le lendemain, à peine arriver (vers les 8h30 - 9h, on n'avait plus la même passion, le même enthousiasme qu'aux premiers jours, les carpes non plus), j'équipais une des cannes d'un plomb de 70g, dès fois que l'on pêche le monstre. Sur le lancer, j'ai bien du dépasser les 100 mètres. L'appât devait être plus près de l'île que de nous ! Les trois autres cannes propulsèrent leur grain de maïs à la même distance que la veille. Et l'un des moulinets se mit bientôt à chanter, mais pas sur "la" canne. Dans toute la matinée, on attrapa 5 jolies carpes, toutes à peu près semblables, entre 10 et 12 kilos, mais pas un seul départ sur "la" canne, malgré qu'elle fut relevée plusieurs fois pour vérifier si son grain de maïs était toujours présent. Les deux autres, qui nous avaient rejoints vers 10h, connurent une bien triste bredouille. L'après-midi, le chaud soleil et le résultat du matin (on avait emmené toutes nos captives dans un grand sac jusque devant le camping pour les prendre en photo avant de leur rendre la liberté) firent que la joyeuse troupe familliale nous accompagna. C'est vrai que pour les enfants, la jolie plage était idéale, avec sa pente douce et son "sable", un mélange de terre et de petits cailloux, mais c'est mieux que les grosses pierres aux arêtes vives, les fonds de rades vaseux ou les abrupts caillouteux s'enfuyant sous vos pieds. .Les heures commencèrent à défiler sans que la moindre touche ne vienne en rompre la monotonie. Faut pas exagérer tout de même ; on était tous à patauger bruyamment dans l'eau, à s'asperger dans de grandes gerbes, à s'amuser comme des petits fous... lorsqu'arriva une école de voile. Ce n'était pas la première fois qu'on avait à intervenir (les cannes, posées à l'horizontale, ne se voient pratiquement pas) et ils viraient aussitôt de bord sans nous causer la moindre gêne. .Mais ce jour-là, le vent anémique rendait l'opération très délicate. Si les premiers, sur leurs légers dériveurs, réussirent à s'éloigner sans trop de problèmes, il en fut tout autre pour les deux "caravelles" qui traînaient, comme à chaque sortie,derrière la petite flotte. La première passa si près du bord que l'on se mit tous à l'eau pour l'arrêter, puis l'emmener, en la tirant sur plus de 200 mètres, à un endroit où un infime souffle lui rendit un soupçon de manoeuvrabilité. .Mais pendant ce temps-là, la seconde, complètement impuissante tellement le vent était tombé, continuait sa lente dérive au milieu de nos cannes. Les pauvres adolescents qui étaient à son bord, totalement paniqués par nos cris, ne savaient plus ce que c'était qu'un safran ou une dérive. Faut vous dire qu'un des moulinets venait de se mettre à chanter ! Et que le fil s'en échappait très régulièrement. .Mais dès que je pris la canne en main, il n'y eu plus de quiproquo : c'était bien une carpe qui était au bout, et en plus une grosse. Les occupants du bateau, qui avait fini par s'échouer sur la plage à nos côtés, reçurent nos plus plates excuses. L'ambiance tendue fit place à une franche rigolade, et tout le monde participa, plus ou moins activement, à la lutte avec la plus belle carpe que l'on aie jamais prise : 16,5 kilos. On lui rendit immédiatement la liberté, puis on aida la caravelle à se remettre à l'eau et à passer le haut fond qui s'alignait sur la petite avancée de la prairie. Il a bien fallu l'emmener à plus de 30 mètres du bord avant qu'elle puisse repartir sans heurter un des énormes rochers qui se cachaient sous la surface, posés par-ci, par-là sur le sable. Je profitais de cette occasion (le chaud soleil, l'absence de vent, ma baignade pour "secourir" le bateau) pour aller observer à la nage "l'obstacle". De la surface, il m'apparût comme une énorme masse noire au milieu de l'eau limpide. Je plongeais pour l'inspecter un peu plus, croyant à une épave. En fait, c'était un énorme rocher qui trônait là, sous plus de 5 mètres d'eau. Sa face vers le large faisait une magnifique falaise de près de 3 mètres de haut et sa base y était légèrement désensablée... et c'était dans cette anfractuosité que le fil venait se coincer, le reste d'un certain nombre de lignes m'en apporta la preuve. Les deux jours de pêche qui suivirent furent plus ou moins désespérants. Une bonne chose tout de même, les deux autres ne nous accompagnaient plus. La longue attente n'en finissait pas. On essayait de trouver quelques occupations passagères, ce qui nous amenait à nous éloigner de plus en plus des cannes. Et c'est ainsi qu'il arriva ce que l'on craignait beaucoup. .Après avoir installé les cannes à la verticale pour les voir de loin (seule l'absence de vent le permet, mais la ligne offre beaucoup plus d'inertie au poisson), Michel et moi étions partis avec une canne à la main, à 200 mètres de là, pour essayer un autre poste, des fois que les carpes y soient plus mordeuses. On était à bavarder d'un peu de rien, tous les sens aux aguets, prêts à intervenir à la moindre alerte : le coeur s'emballe , l'oeil scrute l'horizon avec méticulosité et le plus petit bruit fait tendre l'oreille. C'est presque toujours une fausse alerte et l'attention retombe aussitôt. .Seulement, il arrive parfois que ce soit bien vrai, que ce n'est plus le fruit de l'imagination. Quand l'on vit une des cannes agitée de furieux soubresauts, il fallut courir comme des dératés pour pouvoir intervenir avant qu'il ne soit trop tard. Sous la traction de la carpe, la canne fini par tomber et elle commença à partir lentement ; heureusement que le moulinet laissait sortir presque librement le fil ! Lorsque j'arrivais sur le poste, elle était déjà à plus de 5 mètres du bord. Elle glissait majestueusement à la surface de l'eau et ce n'est qu'en nageant désespérément que je réussis à la saisir. .Je bloquais le frein du moulinet pour essayer de mettre une fin au débobinage du fil, mais la carpe nageant mieux que moi (étonnant, non !), je fus immédiatement entraîné vers le large. Je n'insistais pas. J'ouvris le moulinet tout en grand et je nageais vers la rive sans plus me soucier de ce qui arriverait à la ligne : Je reprendrais contact avec le poisson dès que j'aurai pied, s'il était toujours là. Lorsque je refermais le moulinet, tout le fil s'en était échappé et c'est sur la laine qui sert au bourrage (pour que le moulinet soit bien plein) que j'étais en train de pêcher : situation bien précaire. Sans vraiment tirer, je réussis à récupérer toute la laine, puis un peu de fil. C'en était fini pour la carpe. Le combat redevint normal et sitôt épuisée, je rendis la liberté à cette héroïne d'un jour. Mais que l'image de la canne filant à la surface de l'eau est belle ! Quel souvenir fantastique ! Et que d'émotions ! On n'eut pas tout le temps autant de chance. Le lendemain, c'est une des cannes à Michel qui subit presque le même sort ; parce que depuis l'incident, on bloquait soigneusement les cannes au sol, pour ne pas en voir une partir définitivement derrière une carpe. Tout son fil était sorti du moulinet, puis toute la laine, et arrivé au noeud terminal, ce fut la casse. Maintenant, 200 mètres de fil se promenaient devant nous dans l'épaisseur liquide. .Il n'y avait plus qu'une solution pour le récupérer, c'était la monture à Pierrot. On pliait tout le matériel, on équipait deux cannes et nous voila tous les deux sur la barque, au milieu du lac, à essayer d'attraper un fil... et peut-être une carpe ? Au bout d'un quart d'heure, le fil apparut coincé à une des montures, mais la carpe n'y était plus. De toute la journée, comme la veille, on eut plus un seul départ. Plus les jours passaient et plus la pêche devenait décevante. Et même vint un jour sanctionné par une bredouille cinglante. Le lendemain, j'étais de nouveau seul sur la base (hasard ? ). Par précaution, j'avais récupéré au-près d'un autre pêcheur quelques petits gardons morts, avec la ferme intention d'occuper ma journée par la traque des carnassiers si les carpes me refaisaient le coup de la veille. J'installais mes cannes comme tous les jours, et en attendant patiemment un hypothétique départ, je montais la canne à poisson mort. Je me forçais à ne pas trop m'éloigner du poste pour m'éviter un sprint effréné et peut-être vain en cas de départ. .Cela faisait bien 1 heure que je lançais inlassablament ma monture pratiquement toujours au même endroit, que je la ramenais sans grand d'espoir, lorsque je ressentis un petit choc ou plutôt un petit arrêt, mais tellement insignifiant que je fus tout surpris de me voir réagir : J'avais ferré ! Les violents coups de tête d'un poisson furieux me firent chaud au coeur. Il se laissa ramener assez lamentablement, n'opposant que sa masse et quelques timides départs latéraux à ma traction sur la ligne. J'avais hâte de connaître ce que je tenais. .Arrivé à 10 mètres de moi, il réagit un peu mieux, ne concédant plus aucun centimètre de fil tout en nageant parallèlement à la rive. Qu'est-ce que je pouvais bien tenir ? Je voyais bien une silhouette très floue dans l'eau, mais le poisson était trop profond, il paraîssait tout noir et tout déformé. Peut-être une carpe ? Non, trop petite. Un brochet, alors ? C'est ni sa défense, ni sa forme. Petit à petit, je récupérais quelques longueurs de fil et le poisson m'apparut dans toute la splendeur de sa robe irisée : c'était un sandre. Epuisé, il se laissa échouer sur la plage sans plus aucune résistance. Je l'attachais au bout de la corde, afin de le conserver vivant jusqu'au soir. .Et je me remis à pêcher, espérant une seconde attaque d'un de ces poissons qui se promènent souvent par petites troupes, voire par bandes importantes. Mais plus rien, pas même une carpe, les moulinets restèrent désespérément muets. Je rentrais bientôt au camping avec mon trophée. Il fut coupé en deux dans le sens de la longueur, grillé sur la braise d'un feu de bois et servi avec un beurre fondu. On s'est régalé !

 

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