Gâchis

Si, de ton temps, taquiner le gardon, traquer le brochet ou leurrer la truite étaient la quintessence de ton activité halieutique, de nos jours, la pêche est devenue, malheureusement, toute autre chose. Pour toi, un bon pêcheur se devait d'alimenter la famille et les copains par ses captures. Maintenant, seuls restent les photos et les récits de ces parties mémorables.

Les poissons ? Finis, il n'y en a plus ! La lente mais inexorable déliquescence de nos eaux est arrivée à son terme. Qu'on l'appelle affligeante pénurie ou désolante misère, le constat reste le même : Plus rien ! Ou si peu... Quelques truites en manches courtes par-ci, 2 ou 3 brochets agonisants par-là, sans compter nos défuntes écrevisses !

Malgré ce, quelques irréductibles continuent à se battre, à croire que tout peut redevenir comme avant, à refuser les ersatz, à clamer haut et fort leur révolte, mais aussi capables de retrousser les manches et de se mettre au travail. Des fous, penses-tu ? Oh oui, il faut être un peu fou pour croire pouvoir récupérer pareil gâchis. Le plus grave, c'est que c'est ton gâchis, Papa ! Si tu n'avais pas tant fermé les yeux, si tu avais été un peu plus regardant dans tes gestes, si tu avais été un peu moins complaisant devant les odieux chantages, nous n'en serions peut-être pas là. Alors, aides-nous, avant qu'il ne soit trop tard.

Notre idéal, ce n'est pas le panier bien rempli. Non, ce qui nous motive, ce qui guide notre vie, c'est la truite sauvage qui, guettant le vairon imprudent, succombera à notre "streamer", ou celle qui, d'un imperceptible mouvement de nageoires, cueillera notre nymphe, ou qui, dans une délicatesse de duchesse, aspirera cette petite émergente que nous avions monté avec tant d'amour ; mais qui, de toute façon, repartira, penaude, se cacher au plus profond de sa cave.

T'en fais pas, Papa ! Tu l'auras toujours, ta petite truite aux amandes. C'est que, nous aussi, nous les aimons bien, ces mouchetées ; qu'elles soient grillées aux fines herbes, poêlées sauce Roquefort ou fumées à la finlandaise, elles n'ont pas d'égal pour flatter notre palais. Alors, de temps en temps, on en prélève 2 ou 3 parmi les plus belles, pour te faire plaisir, pour se faire plaisir. Et si on est trop nombreux à table, on va chez le poissonnier, elles y sont aussi très bonnes.

Mais de grâce, tes sacs de supermarchés, tes matelas trop fatigués, ton électroménager usagé, PLUS DANS LA RIVIERE. Et si tu pouvais demander à Maman d'avoir la main un peu moins lourde lorsqu'elle fait ses lessives, le linge serait tout aussi propre... mais les poissons, eux, un peu moins blanchis !!!